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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Le commerce avec l’extérieur était assez prospère en 1736 puisque nous exportions cette année quatre-vingt mille minots de grains aux Antilles seules. Des quantités aussi considérables partaient pour le cap Breton et la France. En 1742 le cap Breton (l’île Royale) s’approvisionnait presque exclusivement à Québec. Garneau prétend que les exportations en farine ou pois atteignaient, certaines années, deux cent cinquante mille francs. La somme des lettres de change s’était tellement accrue que le trésor du roi n’y pouvait plus suffire et en 1743, on en espaça les payements. La guerre qui survint deux ans après grossit encore le nombre de ces papiers qui tombèrent en discrédit. Les marchandises s’élevèrent hors de prix et comme, à cause de la guerre, le roi était le grand consommateur, c’est sur lui que porta principalement la perte. Un mémoire, rédigé, selon les apparences, après la conquête, par un officier au courant de la situation, dit : « Jusqu’à l’époque de la guerre de 1744 les denrées et les marchandises y étaient à grand marché ; la déclaration de la guerre les fit alors augmenter très considérablement. L’on n’en sera point surpris, en considérant qu’en temps de paix, les négociants étaient peu dans l’usage de faire assurer leurs marchandises qu’ils faisaient venir d’Europe, ou du moins qu’ils ne payaient dans les cas où ils voulaient user de cette précaution, qu’une prime de trois ou quatre pour cent, et que le fret ne leur coûtait que de cinquante à quatre-vingts francs par tonneau. En 1744, dès que la guerre fut déclarée, les assurances montèrent à vingt-cinq pour cent, et ont été portées ensuite à soixante ; le fret à deux cents livres le tonneau, et ensuite jusqu’à mille. Les denrées du crû de la colonie ont eu de même une augmentation des prix progressive et relative à celui des marchandises que les cultivateurs étaient obligés d’acheter. Les colons ayant été dans la nécessité d’abandonner la culture de leurs terres pour aller s’opposer aux efforts des ennemis, les terres sont restées presque sans culture, et les productions en ont été par une suite nécessaire presque anéanties ; une corde de bois qui, avant cette guerre ne coûtait communément que cinquante sols ou trois ou quatre francs, a toujours valu depuis huit à dix francs au moins, sans que la paix de 1748 ait causé aucune diminution. Le Canada n’a point profité de cette paix dont l’Europe a joui jusqu’en 1755 ; la guerre y a toujours continué, et l’on sait que c’est ce qui l’a occasionnée en Europe. Par une suite des malheurs de la guerre, cette colonie s’est trouvée totalement dégarnie et dépourvue de marchandises depuis 1744 jusqu’en 1748 ; celles qui y ont été portées pendant les sept années de paix depuis 1749 jusqu’en 1755 ont été bientôt consommées ; il a fallu en acheter considérablement pour le compte du roi, tant pour satisfaire aux présents que Sa Majesté faisait aux Sauvages en récompense des services qu’ils rendaient pendant la guerre, que pour fournir aux envois faits à l’Acadie, et à la subsistance et approvisionnement d’un corps de trois mille hommes qui fut envoyé à la Belle-Rivière. »

Les notes de Kalm (1749) ne sont pas sans intérêt : « Au Canada, l’échange se fait presque entièrement avec du papier-monnaie. C’est à peine si j’y ai vu une pièce métallique, excepté les sous français, qui sont en cuivre, mêlés d’argent en très petite quantité. Ils sont devenus bien minces à force de circuler et leur valeur est estimée à un sou et demi… Le papier courant du pays est tout écrit à la main, et par conséquent sujet à être contrefait ;