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appelle raquettes, qui sont fort commodes. En vérité, les neiges sont ici moins importunes que ne sont les boues en France. Les saisons ne sont pas égales par tout le pays : aux Trois-Rivières, il y a près d’un mois moins d’hiver ; à Montréal, environ six semaines, et chez les Iroquois, il n’y a qu’environ un mois d’hiver. Québec, quoique moins favorable pour les saisons et pour l’aspect du lieu qui n’a pas tant d’agrément, a, toutefois, un très-grand avantage à cause du nombre d’habitants, et qu’il est l’abord des navires qui viennent de France. » Ce témoignage d’un Habitant est exact en tous points.

« Comparant, dit M. Ferland, les observations faites au seizième et au dix-septième siècles, avec celles du milieu du dix-neuvième, on pourra se convaincre que le climat du Canada, du moins dans les environs de Québec, est aujourd’hui à peu près ce qu’il était il y a deux cents ans. Alors, trois ou quatre pieds de neige, aujourd’hui autant ; les premières neiges dans la première quinzaine de novembre ; la débâcle de la rivière Saint-Charles, du dix-huit au vingt-sept avril ; la navigation entre Québec et Montréal interrompue par les glaces dans la dernière semaine de novembre, et s’ouvrant vers la fin d’avril ; les cerisiers, pruniers et pommiers fleurissant dans les derniers jours de mai et les premiers jours de juin — voilà ce que nous reconnaissons aux deux époques. Sous ce rapport, rien ne paraît changé ; et les défrichements faits jusqu’à ce jour ont exercé bien peu d’influence sur la température générale du Canada. »

Faites à quelqu’un une mauvaise réputation, et vous pourrez le pendre sans procès. Sous ce rapport, si le Canada était un individu, il y longtemps qu’il n’aurait plus les pieds sur la terre. Cette affreuse neige ! Ce froid à tout casser ! ! Quand il y songe,

« À Pise, au pied de l’Apennin ;
À Cologne, en face du Rhin ;
À Nice, au penchant des vallées ;
À Florence, au fond des palais…
À Gênes, sous les citronniers ;
À Vevay, sous les verts pommiers…


un frisson de glace, une onglée, saisissent l’Européen. Celui-là ne demande qu’à croire les exagérations des voyageurs et des faiseurs de théorie sur ce thème à effet.

Puisqu’il est constant que nous subissons treize mois de neige par année, notre existence ne peut être que des plus misérables. Donc : habitations à la mode des Esquimaux, ou à peu près ; costumes à l’avenant ; chasse et pêche ; manque absolu de gaîté et de culture intellectuelle. Que dire de mieux, surtout de plus conforme à la situation climatérique qui nous est imposée ? Tout raisonnement plie devant ce fantôme que Voltaire a si bien crayonné : « quelques arpents de neige. »

Pourtant, le froid existe ; la neige ne peut être niée ; la longueur de nos hivers est incontestable. Les Européens ont bien l’air de ne pas se tromper. Hélas ! c’est ce qui nous désole : vues de l’autre côté de l’Atlantique, les apparences sont pour eux. Mais, vue de Québec,