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préjugés et dans l’ignorance en ces matières. Çà et là, de siècle en siècle, à la faveur d’un événement inattendu, une secousse se produisait dans les esprits : le mystère se laissait entrevoir : les hommes se prenaient à vouloir agrandir leur horizon — mais bientôt, honteux de tant d’audace, ils rentraient dans leur coquille.

Reprenons l’examen des Gaules. César a fait la guerre de préférence le long du Rhin et sur les plateaux de l’Auvergne, précisément dans les contrées les plus humides et les plus froides de sa conquête. Entre le Rhin, l’Atlantique, la Garonne et la Manche, le pays était alors couvert de forêts entrecoupées de défrichements situés, comme toujours, dans les vallées, ce qui procurait aux habitants des campagnes une température supportable ; car les hauteurs sont froides en tout pays. La région qui se trouve au sud et à l’est de la Garonne était tellement florissante et civilisée qu’il n’est pas possible de la comparer à la Bretagne, à Paris, à la Normandie, par exemple, et encore moins aux territoires montagneux du sud-est : l’Auvergne, les Cévennes et le Jura. Ces derniers lieux, d’où César s’est montré si habile à lancer ses légions dans les plaines, étaient froids et ils le sont encore.

« Le pays et terroir du Canada, écrit Thevet (1555), est beau et bien situé et de soi très bon, hormis l’intempérature du ciel qui le défavorise, comme pouvez aisément conjecturer… Le capitaine Jacques Cartier, avec lequel me suis tenu cinq mois en sa maison de Saint-Malo, en Bretagne, et autres capitaines et gentilshommes dignes de foi, m’assurèrent tous la chose être véritable. » Elle est véritable, en effet ; mais il faut en rabattre si l’on parle des moyens d’existence que cette terre offre à ses habitants. Dès les premières années de notre établissement ici, « l’intempérature du ciel » ne nous empêcha pas de récolter assez de blé pour nous nourrir, et bientôt en exporter des masses aux Antilles.

« Et, ajoute Thevet, pour éviter prolixité en l’histoire de nos Canadiens (les sauvages), vous noterez que les pauvres gens universellement sont affligés d’une froideur perpétuelle par l’absence de soleil[1], comme pouvez entendre… Nonobstant cette froidure tant excessive, ils sont puissants et belliqueux, insatiables de travail. Semblablement sont tous ces peuples septentrionaux ainsi courageux, les uns plus, les autres moins ; tout ainsi que les autres tirant vers l’autre pôle, spécialement vers les tropiques et équinoctial sont tout au contraire : pour ce que la chaleur si véhémente de l’air leur tire dehors la chaleur naturelle et la dissipe[2] — et par ainsi sont chauds seulement par dehors et froids en dedans. Les autres (ceux du nord) ont la chaleur naturelle serrée et contrainte dedans par le froid extérieur, qui les rend ainsi robustes et vaillants — car la force et faculté de toutes les parties du corps dépend de cette chaleur naturelle. »

Après avoir dit que le voisinage des bancs de glace était en bonne partie la cause du froid excessif du Canada, Charlevoix observe : « Même, malgré ce voisinage, si le Canada était aussi découvert et aussi peuplé que la France, les hivers y seraient moins longs et moins rudes. Ils le seraient pourtant toujours plus qu’en France, à cause de la sérénité et de

  1. Il n’y a pas de pays où le soleil brille plus constamment qu’au Canada.
  2. Voilà une explication !