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Si vous parcourez les campagnes de la province de Québec, ou les quartiers français de nos villes, le soir de la Saint-Sylvestre, vous entendez un chant ancien, grave et traînant, qui attire par son étrangeté et surprend à cause de la saison ; car on ne fait guère de sérénades, au pays du Canada, en décembre et en janvier.

C’est la Guignolée, l’une de nos plus vieilles traditions, laquelle remonte à deux mille ans et bien davantage — comme la fête de la Saint-Jean, qui eut son origine dans les temps préhistoriques.

Il ne nous reste pas un grand nombre de coutumes du temps de César ou de Charlemagne ; n’est-il pas étonnant que de simples couplets, quelques amusements, une légende, un bout de croyance, toutes choses en apparence futiles, se conservent à travers les âges et voient naître et disparaître successivement les mœurs, les habitudes, le langage, les institutions, le costume, la manière de vivre, etc., de la race à laquelle ils sont attachés !

Qu’est devenue la langue gauloise que nous parlions il y a deux ou trois mille ans ; le latin qui nous fut imposé pendant un autre millier d’années ? Où sont les demeures, la religion, les armes, les habits des compagnons de Brennus, de Vercingétorix et du Franc Mérovêe ? Nous n’en avons pas même gardé le souvenir ; ce que l’on en sait nous est enseigné par les livres.

Mais une chanson reste ! Un jeu populaire résiste aux assauts du temps. Des riens sont plus solides que des monuments.

Lorsque, au solstice d’hiver, les druides, les prêtresses et le peuple gaulois entouraient le chêne symbolique et en détachaient les branches du gui à l’aide de la faucille d’or, avec accompagnement d’exclamations joyeuses qui saluaient la nouvelle année — Au gui ! l’an neuf ! — ils étaient loin de se figurer que, vingt siècles plus tard, quelques strophes chantées dans une langue nouvelle — le français — par une troupe de cultivateurs, au milieu des neiges et des frimas d’un pays perdu par-delà les mers, seraient à peu près tout ce qui resterait de leurs rites et des dogmes célèbres qu’ils professaient.

Au gui ! l’an neuf ! — nous ne savons pas même comment cela se prononçait en gaulois. Dans notre langue française, la guignolée se chante la veille du jour de l’an, aux portes des maisons, comme invocation à la charité. Touchante coutume ; ceux qui la pratiquent en ignorent l’origine.

Bonjour, le maître et la maîtresse
Et tous les gens de la maison !

Il fait bon d’entendre ces vieux refrains qui, outre qu’ils rappellent un passé poétique, montrent sous un jour aimable le caractère des Canadiens.

Au gui ! l’an neuf ! souhait de bonne année, cri d’espérance qui plaira toujours, dans quelque langue et sous quelque forme qu’on le prononce. Nous y ajoutons l’acte de charité qui lui donne le charme définitif.

Nous tenons des ancêtres la coutume de célébrer les journées les plus courtes et les plus longues de l’année : le 1er  janvier et la Saint-Jean — deux fêtes païennes que le christi-