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Chine qui la protègent. Cela seul suffirait pour la rendre supérieure à notre pays ; mais que dire du Gulf Stream, ce courant d’eau bouillante, large et fort comme plusieurs fleuves Saint-Laurent qui, à l’ouest et au nord, lui forme une ceinture de calorique, dont l’atmosphère, véritable serre-chaude, pénètre l’air de son littoral et y fait la pluie et le beau temps ! De ce côté-ci de l’Atlantique, à l’ouest, loin de posséder une chaudière en ébullition qui dégourdit notre air, nous avons le fameux courant polaire qui frôle le Labrador et qui dépasse Terre-neuve en tirant au sud. C’est le porteur de banquises. Pour surcroît de plaisir, nous avons au dos la baie d’Hudson, chargée de glaces flottantes depuis le jour de l’an jusqu’à la Saint-Sylvestre. Le Canada, en un mot, confine aux déserts de neige où la végétation est à peu près inconnue. Et puis, le froid marche. Oui, il marche ! il pousse au midi ; il nous envahira, comme il a fait ailleurs, soit par secousses, soit par gradation, sans merci, sans crier gare ! Il n’est plus question de savoir si nos arrière-petits-neveux chaufferont leurs poêles à meilleur marché que les nôtres. Ce qui est commencé s’achèvera ; or, la marche du froid est commencée de longue date. Il fut un temps où la zone glaciale était habitée par des animaux dont les espèces n’existent plus que dans les climats chauds — l’éléphant, par exemple. La découverte d’une multitude de ces animaux dans un état parfait de conservation, au milieu des glaciers du nord, fait voir qu’un déluge de froid s’est abattu brusquement sur eux et les a tués sur place en quelques heures. Consultons l’Histoire : Il y a sept ou huit siècles, les Islandais fréquentaient les bouches du Saint-Laurent ; ce fleuve arrosait un beau pays, d’un aspect plus engageant qu’il ne l’est de nos jours. Vers cette époque, le Groënland renfermait plusieurs villes ; un évêché relevant de Rome y existait. Tout a disparu subitement, au quatorzième siècle ; le froid y a causé un cataclysme qui rappelle ceux des âges plus éloignés et dont les géologues ont constaté les ravages. Depuis cinq cents ans, le Groënland n’est plus habitable pour les races civilisées. L’Islande, jadis si florissante, se dépeuple à cause de la rigueur progressive du climat. Le Canada se trouve aujourd’hui à l’extrême limite des contrées habitables. Vienne un autre effort de la nature dans le sens mentionné ci-dessus, et ce sera à notre tour d’y passer ! Le phénomène de l’invasion graduelle du globe par la basse température est non-seulement visible sur terre, mais aussi sur mer. Géologiquement parlant, nous sommes dans l’âge des banquises. On constate que, depuis cinq cents ans, celles-ci ne font qu’augmenter en nombre et en volume, et qu’elles fréquentent de plus en plus les côtes de notre voisinage. Cela n’a rien qui doive surprendre, étant donné le double fait que le dépôt du froid fixé au pôle s’étend sans cesse, et que le courant glacé du nord se dirige de notre côté.

Récemment, quelqu’un a conçu le projet de nous doter d’un printemps perpétuel. La proposition part d’un bon cœur. Il suffirait ; dit-on, de fermer le détroit de Belle-Isle — une passe de vingt-sept lieues de longueur sur quatre de large — et tout serait changé. Les banquises ne s’y aventureraient plus, le golfe Saint-Laurent s’en porterait mieux, et nous aussi ! Par malheur, ce n’est pas des rares banquises égarées dans nos eaux que nous avons le plus à nous plaindre. Le nord avance sur le Canada. Il y a mille ans, notre pays devait jouir de