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peu de vent s’élève. Rien n’est agréable à respirer comme le froid sec. Mais si le vent le pousse, il nous caresse l’épiderme par trop vigoureusement — et alors, il est bon de boutonner notre enveloppe et de relever le cache-nez à la hauteur voulue.

Parlant sur ce thème, les orateurs de la chambre des Communes, en Angleterre, s’efforçaient de dissuader le gouvernement de nous envoyer des colons, il y a un demi-siècle. « Avec quoi les nourrirez-vous ? s’écriaient-ils. La chasse va bientôt disparaître. Aucun animal domestique ne saurait prospérer dans cet affreux climat. Nos colons en seront réduits à attendre qu’on leur envoye de la viande du Royaume-Uni — et alors voyez dans quelle position vous les mettez ! »

Réponse : aujourd’hui, en 1882, c’est nous, le Canada, qui fournissons de la viande aux marchés de l’Angleterre !

L’éloge du froid est plus facile à faire que celui de la chaleur. La raison en est fort simple. La chaleur entraîne des inconvénients qu’on ne peut éviter, tandis que le froid apporte avec lui un principe de santé indiscutable. Mais… cette affreuse neige ; ce froid à tout rompre… !

Voyons ce que sera la température de notre pays dans les âges à venir :

L’humidité produite par les grands boisés est incontestable. Dans ces conditions, le soleil ne pénètre pas jusqu’au sol ; le terrain spongieux, au pied des arbres, retient facilement une partie des eaux du ciel ; la respiration des plantes, petites et grandes, rejette dans l’atmosphère des masses d’air vicié. L’influence de la forêt est donc énorme sur la température, surtout dans les pays placés, comme la France, sous la zone dite tempérée. Supprimez les arbres, l’astre du jour chauffera la terre, celle-ci sera irriguée par l’agriculture — un climat plus doux se fera sentir. C’est ce qui a eu lieu dans les parties basses de la France. Pour ce qui est du froid en lui-même, on a vu récemment (siège de Paris, 1870) la Seine gelée au point de servir au transport d’un matériel de guerre. C’est assez « gaulois », quoiqu’on en dise.

La disparition des forêts ayant produit une élévation de température dans la France, en serait-il de même au Canada ? Impossible ! Le nord est trop acculé sur nous. La comparaison avec la France n’est pas soutenable. Si nous abattons la lisière extrême des forêts qui nous préservent de l’influence du pôle, nous ouvrirons plus grande que jamais la porte au froid — un froid de loup, qui nous dévorera. Il est vrai que nous sommes sur la latitude de la Rochelle, Lyon et Genève, à soixante et dix lieues au sud de Paris. Plusieurs en concluent que nous finirons par jouir du même soleil que nos cousins du midi de la France ; en d’autres termes, que le nord devrait être aussi près de Versailles que du lac Saint-Jean. Géographiquement, cela est exact ; mais si on parle des frimas, des neiges, de la glace, du froid, tout change ! Le Canada est comme une annexe des contrées polaires. Les terres se touchent, se suivent, se ressemblent, sont soumises aux mêmes variations de l’air, à quelques différences près. La France a des espaces énormes de mer libre et d’îles prospères — les Hébrides, l’Écosse, l’Irlande, l’Angleterre — au nord de ses frontières : ce sont autant de murailles de