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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

mager cet homme de la perte qu’il lui faisait subir, en immortalisant son nom. Au sortir de ce port, il entra dans un autre qui fut appelé le port au Mouton, parce qu’un mouton s’y noya[1]. Il débarqua tout son monde et y passa plus d’un mois, tandis que M. de Champlain visitait la côte dans une chaloupe, pour chercher un endroit propre à l’établissement qu’on avait projeté. »

Ainsi faute de savoir où l’on allait, une partie de la belle saison fut perdue en tâtonnements. Il eût fallu employer ce temps à semer les terrains déjà découverts, s’il y en avait, ensuite à en défricher d’autres, puis à faire la récolte ; en septembre, on eût pu construire des logements pour l’hiver. Avec de mauvais éléments, ces travaux si simples sont impossibles.

Le troisième navire était parti de France pour la traite de Tadoussac. Sur le quatrième, qui portait une partie des provisions et des « commodités nécessaires pour l’hivernement, » et qui était commandé par le capitaine Foulques ou Fouque, de la Rochelle, Pontgravé se mit en route le dernier, ayant instruction de se rendre au cap Canseau et vers l’île du cap Breton « voir ceux qui contreviendraient aux défenses de Sa Majesté touchant la traite des pelleteries et la pêche. »

Ce n’était pas assez des Anglais qui commençaient « à rôder les côtes, » il fallait encore engendrer querelle aux Français dispersés dans ces parages.

Les Basques, notamment, faisaient depuis un siècle au moins le commerce de la morue, sans s’inquiéter si cela convenait au roi de France et de Navarre. Leur courir sus et les traiter en voleurs était une injustice criante que les mœurs barbares de ces temps orageux peuvent expliquer mais non pas excuser.

Les assassinats, les empoisonnements, les violations de toutes sortes avaient tellement pris racine dans les hautes classes, que rien n’arrêtait les ambitions publiques ou privées. Ceux qui étaient « quelque chose » y allaient haut la main et sans pitié pour « le commun. »

La Nouvelle-France, destinée à subir tant de guerres et de misères, ne pouvait en commencer trop tôt l’apprentissage. La première notion des peuples civilisés qu’eurent les naturels de l’Acadie et des bords du golfe fut par le spectacle d’agressions sanglantes entre ces étrangers venus de si loin et qui ne respiraient que la haine et le meurtre les uns envers les autres. Quand les missionnaires arrivèrent prêcher la mansuétude, la charité et l’amour, ils eurent à lutter contre ces scandales qui témoignaient aux Sauvages combien peu les hommes des grands canots (navires) s’aimaient et se pardonnaient leurs divergences d’opinion.

Champlain, explorant toujours les côtes de l’Acadie, jeta son dévolu sur la petite île Sainte-Croix, située à quelques milles de l’embouchure de la rivière Scoudie. De Monts y installa sa colonie. Il était temps, car le mal-de-terre se manifestait parmi eux, et durant l’hiver il en tua trente-six. On sema du blé en ce lieu, mais sans en faire la récolte. Deux ans

  1. « Un mouton qui s’étant noyé revint à bord et fut mangé de bonne guerre, » dit Lesçarbot.