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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

blâmer ceux qui devançaient les événements. Qui eût pu prévoir, en 1603, à l’heure où les Iroquois étaient tombés dans l’insignifiance, le terrible réveil de cette nation, quarante ans plus tard ? Et quel est celui qui, ayant à coloniser la partie inférieure d’un grand fleuve, ne tenterait pas, tout d’abord, de se procurer des alliés parmi les peuplades les plus voisines de ses premiers établissements ?

À l’arrivée des Français, il y eut grande tabagie à Tadoussac. « L’un des Sauvages que nous avions amenés, dit Champlain, commença à faire sa harangue, de la bonne réception que leur avait fait le roi, et le bon traitement qu’ils avaient reçu en France, et qu’ils s’assurassent que sa dite Majesté leur voulait du bien, et désirait peupler leur terre, et faire paix avec leurs ennemis qui sont les Iroquois, ou leur envoyer des forces pour les vaincre. Il fut entendu avec un silence si grand qu’il ne se peut dire de plus. La harangue achevée, le grand sagamo, l’ayant attentivement ouï, commença à prendre du petun, et en donner à Pont-gravé et à Champlain, et à quelques autres sagamos qui étaient auprès de lui. Ayant bien pétuné, il fit sa harangue à tous, » dans laquelle il insista sur les avantages précieux que leur apporterait l’amitié et la protection du roi de France. Le tout se termina par les danses accoutumées, et un festin selon les règles.

Cette alliance, sur laquelle on ne saurait trop attirer l’attention du lecteur, parce qu’elle explique le rôle prépondérant des Canadiens dans les vastes régions de l’Amérique du Nord, durant un siècle et demi, est l’un des actes les plus adroits et les moins barbares que la politique ait produits. Nos voisins de la Nouvelle-Angleterre ont assailli les Sauvages, ont voulu les repousser, ont travaillé à les extirper du sol comme des herbes nuisibles ; à l’heure qu’il est, ils poursuivent encore ce mode de conquête ; mais parcourez l’ouest et le nord-ouest, si vous parlez français, les Sauvages vous recevront comme des frères : il est de tradition chez ces pauvres gens que nous ne les avons jamais maltraités.

Non pas que les fondateurs du Canada aient cru, avec certains faiseurs de théories sociales, que « le noble Sauvage » fût un être au dessus du vulgaire ; oh certes ! non, ils le jugeaient à sa valeur, mais cette valeur était celle de l’occupant de ce monde nouveau, et, de même que, en Chine, on doit raisonnablement se conformer au cérémonial chinois, nos ancêtres se faisaient Algonquins avec les Algonquins.

Mille personnes étaient réunies à Tadoussac. C’était plus qu’il n’en fallait pour sceller un pacte durable. La danse et le calumet, symboles suprêmes, valaient tous les cachets de cires jaune, rouge ou verte des secrétaires du roi.

On doit observer que les Algonquins assemblés en cette occasion n’étaient pas des peuples du Saguenay, mais bien de l’Ottawa, ce qui confirme la croyance que, de proche en proche, depuis Cartier, le commerce français s’était fait ressentir au delà de Montréal. Les rendez-vous annuels des traiteurs et des Sauvages, que ce fût au saut Saint-Louis (île de Montréal), aux Trois-Rivières ou à Tadoussac, attiraient les flottilles de l’Ottawa supérieur, peut-être même celles des nations du lac Nipissing et de la rivière des Français.