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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS
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1588, de tuer le cardinal de Guise. Ce dernier du Gast était, selon Brantôme, « l’homme le plus accompli de son temps, » et, d’après la première femme de Henri IV, « un corps gâté de toute sorte de vilenies, qui fut donné à la pourriture, et son âme au démon à qui il en avait fait hommage. » Il fut assassiné dans son lit, vers 1600, à la suite d’intrigues de cour. Desportes fit sur sa mort un sonnet passable qui se termine par ces vers :


Enfin, la nuit, au lit, faible et mal disposé,
Se vit meurtrir de ceux qui n’eussent pas osé
En plein jour seulement regarder son visage.


Cela ne rappelle-t-il pas Casimir Delavigne disant des soldats de la vieille-garde morts à Waterloo :


L’ennemi les voyant couchés dans la poussière
Les regarda sans peur pour la première fois.


Les Malouins s’alarmèrent de l’audace de Chauvin. Ils pensèrent que si Tadoussac devenait un poste permanent, leur cause serait compromise. Le 3 janvier 1600, la communauté des bourgeois de Saint-Malo « octroie à Jean Martin Guiraudaye et consorts » des lettres les autorisant à faire les démarches nécessaires pour empêcher que le parlement de Bretagne ne vérifie certaine requête accordée par le roi à « un appelé Chauvin, du Havre-de-Grâce[1], » qui interdit « le trafic du pays de Canada » aux habitants de la ville de Saint-Malo, et maître Jean Bodin est nommé procureur auprès de la cour dans le même but.

Chauvin ne tint aucun compte des protestations. Il retourna à Tadoussac cette année, 1600, trouva que ses hommes étaient morts de froid et de faim ou dispersés parmi les indigènes, ce qui, au point de vue de la colonisation, ne lui causait aucun chagrin. Un troisième voyage qu’il fit en 1601 fut le dernier. Il tomba malade peu après son retour en France, et mourut vers la fin de 1603, croyons-nous. Pontgravé ne paraît pas avoir agi de concert avec lui durant ces deux années.

Le sort voulut que le commandeur de Chaste se constituât le continuateur de l’entreprise, avec approbation du roi, bien entendu. C’était heureux ; car, outre que la chose demandait force écus sonnants (à part la confiance de Sa Majesté, ce qui ne manquait pas au commandeur), celui-ci était bon catholique et franchement disposé à remplir les conditions que Chauvin avait méconnues. Il eut pour le soutenir une compagnie de gentilshommes et de négociants de Rouen et d’autres lieux. La Normandie entrait décidément dans la lutte, et c’est ce que les Malouins comprenaient.

Sous des auspices aussi favorables que ceux du commandeur, il s’en est fallu de bien peu que l’histoire de la colonisation de la Nouvelle-France ne commençât avec l’année 1602, et que notre pays ne devînt peuplé et puissant en Amérique un demi siècle avant l’administration de Colbert. De Chaste, on le verra, entrait directement dans la bonne voie.

L’homme véritable qui devait imprimer son cachet à ce mouvement, ainsi qu’à tant d’autres, allait se montrer. Samuel de Champlain revenait des Indes et se révélait explo-

  1. Dans une autre pièce de ce temps, on le nomme « Jan Chauvin, habitant de Honnefleur. »