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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Il faut se rappeler que Jacques Cartier ne fut pas le premier à pénétrer dans le golfe Saint-Laurent, ni peut-être dans le fleuve de ce nom. Les Basques abondaient sur les bancs de Terreneuve. Les armateurs de Saint-Malo équipaient, sans éclat ni lettres-patentes, des navires de traite qui s’avançaient dans le golfe. Les Dieppois les serraient de près dans ces courses.

À plus forte raison, lorsque les voyages de Cartier et de Roberval eurent attiré les yeux sur ces pays, le nombre des navigateurs dût-il augmenter, et plusieurs de ceux-ci ne manquèrent pas sans doute d’aller jusqu’à Tadoussac, sinon à Québec.

Les marchands de Saint-Malo étaient les plus entreprenants des armateurs français. Leurs navires prenaient de riches cargaisons dans les terres du golfe. De là, disputes et procès de la part des parents de Cartier, qui avaient obtenu le privilége exclusif de la traite et qui en étaient jaloux à un point extrême. On eût dit, à voir cette concurrence, que les castors du Canada pouvaient tenir tous dans une forêt de trois lieues de circonférence, et ses morues, dans un réservoir à mettre des poissons rouges.

Jacques (baptisé sous le nom de Pierre) Noël, né à Saint-Malo en 1506, et Jean Cartier, dont la naissance paraît dater de 1525, étaient, à titre de neveux, héritiers directs des priviléges de Jacques Cartier. D’une sœur de ce dernier était née, vers 1535, une fille qui épousa Olivier Chaton, esprit remuant, adonné aux entreprises maritimes. Ces trois hommes, qui étaient dans la force de l’âge en 1560, pour ne rien dire des fils des trois oncles de Jacques Cartier, ne voulaient céder à aucun l’exploitation du Canada ni la partager ; mais ils avaient affaire à forte partie ; leurs concitoyens opéraient sans permission, avec autant d’aisance que s’ils eussent été munis de parchemins royaux.

Ni la cour ni la France ne tenaient compte du Canada, et ne le connaissaient pas même de nom. Lorsqu’il était question des pays d’Amérique, l’imagination se reportait sur les colonies du sud, ou la Floride ou le Brésil, et c’était tout. De colonisation proprement dite, il n’en était point parlé.

Ces débats soulevés à Saint-Malo autour des prétentions de la famille Cartier finirent par attirer les yeux vers le Saint-Laurent. On eut connaissance d’un gros commerce qui s’exerçait dans ces endroits. L’idée vint à quelques seigneurs de s’en faire accorder le monopole. Les Bretons remontrèrent du mieux possible contre une telle injustice ; mais ces gens étaient de la ribeaudaille inconnue en haut lieu. Néanmoins, on laissa quelque temps encore la famille Cartier leur tenir tête.

Le marquis de la Roche ne donna ni à une faction ni à l’autre l’avantage de devenir maîtresse de la situation. En grand seigneur qu’il était, il passa par-dessus les manants, se fit pourvoir d’une patente exclusive, et mit à la voile… pour aboutir à la catastrophe de l’île de Sable (1578).

Il s’était chargé de coloniser le Canada. Ses colons étaient tous des condamnés. Comme ils ne firent pas souche de ce côté-ci de l’Atlantique, on peut dire en pensant aussi à la colonie de Roberval : à quelque chose malheur est bon.