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réflexions sur l’art des vers

sont-ils musicaux ? En d’autres termes, l’oreille y trouve-t-elle un charme correspondant à quelque loi acoustique ? Assurément, car leurs intervalles sont rythmiques. Le rythme du langage est le lien chronique des temps d’arrêt de la voix sur les syllabes fortes, lien qui consiste dans un rapport tel entre les intervalles de ces temps que chacun de ceux-ci soit attendu de l’oreille et en satisfasse l’attente. Or l’expérience témoigne qu’une phrase bien faite offre précisément ce caractère de ne causer aucune déception à l’oreille ; aucune des divisions ne lui en paraît ni trop longue ni trop courte ; chaque membre de phrase, chaque période principale y est avec les autres en proportion, non pas strictement préfixée, mais variable dans une limite assignée par la succession des périodes précédentes. C’est cette variabilité même qui, avec l’absence de consonances régulières, distingue essentiellement la prose du vers dans la langue française.

Tout d’abord on est tenté de se demander quel avantage il peut y avoir pour le style, c’est-à-dire pour l’expression, à changer quoi que ce