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En vain cette princesse au vasselage aspire,
Rougissant d’imposer à des brutes sa loi,
Comme un tyran, honteux d’un trop abject empire,
Veut relever sa gloire en servant un grand roi ;

Elle imagine en vain la race olympienne ;
Elle a beau, lui prêtant ses instincts de bourreau.
Mêler, pour l’émouvoir, si peu qu’elle en obtienne,
Le sang d’Iphigénie à du sang de taureau ;

Elle a beau confîer aux mains des Praxitèle
Un marbre pur docile au pur ciseau païen ;
Le génie inventeur et la pierre éternelle
N’ont pas produit ensemble un front égal au sien !

N’ayant pu faire entrer son Dieu dans nulle idole,
Elle a beau l’incarner dans son propre limon.
Vouloir que ce soit lui désormais qui s’immole,
Et que, saignant pour elle, il mérite en son nom ;

Elle a beau, soupçonnant que tout dogme l’abuse,
Mais trop seule pour vivre en se passant de foi,
Du monde entier se faire une idole confuse,
Ou même insolemment s’écrier : « Dieu, c’est moi ! »

Elle se connaît trop pour s’adorer soi-même,
Et le Tout n’est personne et ne peut être aimé ;
Son Dieu fuit son amour dans quelque astre suprême,
Dans un vague empyrée à ses regards fermé.