Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1879-1888.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Et toi, joyeux enfant, qui dans l’herbe te plonges,
A peine plus haut qu’elle, et poursuis des deux mains
Ce papillon fragile, errant comme tes songes,
Leurre capricieux de tes pas incertains,
Tu vis plus que l’insecte, et la petite flamme
Q.ui sous ton front s’éveille et vacille, c’est l’âme !
C’est l’étoile qui pense au fond des yeux humains ;

Comme un cristal ajoute une ampleur mensongère
Au moindre objet cerné dans ses confins étroits,
La jeune illusion de tes yeux t’exagère
Le jardin paternel moins grand que tu ne crois ;
Pour toi finit le monde où ton horizon cesse ;
Pour toi tout le bonheur tient dans une caresse,
Toute la vérité dans un signe de croix.

Enfin, moi qui suis homme et juge davantage,
Dont le cerveau s’éclaire au foyer lumineux
Que des penseurs sans nombre ont accru d’âge en âge,
Je n’en sais guère plus : dans l’ombre où je me meus
Ces clartés ne me font qu’un douteux crépuscule
Et l’horizon du monde en vain pour moi recule ;
Frère aîné des enfants, j’interroge comme eux.

Comme eux, j’attends ce soir l’aurore en confiance.
Je sais qu’elle est fidèle et j’ignore pourquoi,
Mais seulement plus vain j’ose nommer science
L’ordre et non la raison de mes actes de foi ;
Dupe comme eux, je prends pour les choses réelles