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LE TOURMENT DIVIN


A Madame Louise Labélonye.


I


Dur caillou de la route, aveugle et sourde pierre
Où la lime du temps semble avoir ébauché
Un œil qui dort voilé d’une morne paupière,
En te foulant je sais que je n’ai pas marché
Sur une forme née avec la vie en elle,
Et que si mon talon t’arrache une étincelle,
C’est un feu sans regard à la nuit arraché.

Mais le peu que tu vaux importe à la Nature :
Elle a fait un dépôt de ses forces en toi ;
Pour composer un sol à quelque fleur future,
De tous tes éléments elle a marqué l’emploi.
Tu dors à ta manière, et peut-être ton somme
Est-il frère lointain des noirs sommeils de l’homme,
Où la vie accomplit aveuglément sa loi.

O lis pur, languissant et pâle, où s’est posée
Cette goutte qui tremble et roule comme un pleur,
Je sais bien que cette eau n’est qu’un peu de rosée