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L’AMOUR ASSASSINÉ


sonnet


 
Comme un pauvre honteux frappe son nouveau-né
Parce qu’il ne peut pas le nourrir sur la terre,
Et, fou de désespoir, dans un coin solitaire
L’enfouit tiède encore et mal assassiné,

J’ai frappé mon amour en naissant condamné ;
Je l’ai mis dans la fosse et j’ai clos sa paupière,
Puis j’ai roulé sur lui la plus pesante pierre,
Et je suis parti seul, de ma force étonné.

Je le croyais bien mort. Étrange découverte !
Je le revois debout sur sa tombe entr’ouverte,
Au milieu des lilas qu’avril y fait fleurir.

— « Ah ! dit-il, le front pâle et ceint d’une immortelle,
Tu ne m’as qu’étourdi, je retourne auprès d’elle ;
Ce n’est pas de ta main que je pourrai mourir ! »