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Vers l’infini muet dressaient leurs fronts meurtris
Et joignaient en pleurant leurs mains désespérées
Sans voir poindre aucun port dans les mers éthérées,
Ni luire aucun signal en réponse à leurs cris !

Pourrions-nous, entendant leur appel de détresse,
Lisant dans leurs regards l’effroi qui les oppresse,
Nous sentir dans la joie innocemment heureux,
Et, riches d’un savoir qui leur serait utile,
N’en faire qu’un usage infécond et futile,
Et, vivant pour nous seuls, ne rien tenter pour eux ?

stella

______Non ! Faustus, et notre ignorance
______De leur sort subi sans témoin
______N’absoudrait pas, bien qu’ils soient loin,
______Pour eux en nous l’indifférence.

______Leurs corps pour le martyre élus
______Sont du même sang que les nôtres,
______Et leurs âmes ne sont point autres
______Que nos propres âmes non plus.

______Des fibres vives nous rattachent,
______Hors de l’espace, à nos pareils,
______Et les distances des soleils
______Jamais du cœur ne les arrachent.