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SONGE D’ENFANT


À Madame Gabrielle Géruzez.


Je me souviens qu’après l’école, un jour d’été,
Dans les champs je m’assis, par un saule abrité,
Et là, sous la feuillée au soleil transparente,
Trouvant sur le foin tiède une couche odorante,
Je m’assoupis. Bientôt je sentis, en rêvant,
Comme un baiser du ciel à mon âme d’enfant.
Les insectes des prés et les blondes abeilles
Vinrent sans doute alors bruire à mes oreilles ;
Les libellules d’or dont l’aile est un éclair,
Les frêles papillons qui sont les fleurs de l’air,
Vinrent d’un lac peut-être ou d’un buisson de roses
Voltiger sur ma bouche et mes paupières closes ;
Sans doute quelque oiseau pour bercer mon sommeil
Chanta la liberté, l’espace et le soleil,
Et des bois d’alentour une odeur d’églantines
Vint, errante et légère, effleurer mes narines ;
Dans mes cheveux peut-être un souffle ami passa.
Ma mère me sourit ou ma sœur m’embrassa.
Je ne sais, mais jamais le pinceau du mensonge
N’assembla les couleurs d’un plus aimable songe.