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O couples épargnés ! qui, sans péril ni honte,
Traversez humblement la terre, où l’on vous compte,
Seuls élus de l’amour, dont les cœurs, tout d’abord
Et pour toujours, ont mis leurs battements d’accord ;
Qui, de la jalousie ignorant les alarmes,
Jamais à vos baisers n’avez mêlé de larmes ;
Qui, loin des sols taris par les foules hantés,
Fuyez le pavé dur et l’or vil des cités
De peur que votre joie aux railleurs ne se montre,
Mais, connus du poète, allez à sa rencontre
Pour écouter sa voix pleine d’échos amis,
Dites-moi qu’aux vivants le bonheur est permis !
J’ai rêvé, grâce à vous, des nœuds inaltérables
Entre deux âmes sœurs, mais en des corps durables,
Sur un globe meilleur, propice à tous leurs vœux,
Qu’un soleil indulgent caresse de ses feux
Et tapisse de fleurs pour les pieds qui le foulent,
Terre où les horizons sans points noirs se déroulent.
Grâce à vous, ces amants se frayent des sentiers
Embaumés du parfum d’éternels églantiers
Dont nulle épine aux doigts n’a vendu les offrandes.
Tantôt, puisant l’ivresse à des sources plus grandes,
Ils montent voir de haut, dans un voyage ailé,
S’élargir la campagne, y luire, démêlé,