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« Son cerveau pour domaine a les faits qui l’entourent
Il en devine l’ordre et les fidèles nœuds,
Il décrit les chemins que les astres parcourent,
Étant force lui-même et matière comme eux ;

« Mais ce domaine, l’Être infini le déborde,
Car il embrasse tout d’une étreinte qui fuit.
Sa profondeur échappe à l’ancre dont la corde
S’épuise, et qui sans mordre oscille dans la nuit.

« La Cause où la Nature entière est contenue
Outrepasse la sphère où l’homme est circonscrit ;
Elle est l’inabordable et dernière inconnue
Du problème imposé par le monde à l’esprit.

« L’homme, né pauvre et nu sur une terre avare,
Fut armé d’un génie apte à la féconder.
Mais cet humble génie à scruter Dieu s’égare
Et méconnaît sa tâche en le voulant sonder.

______« Retourne auprès de ton amie,
______Confie au berceau de ses bras
______Ta raison malade endormie,
______Et l’important, tu l’apprendras :
______Le seul bien qui nous intéresse,
______Crois-m’en, car je l’ai médité,
______C’est le trésor de la tendresse,
______Plus humain que la vérité. »