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Puis il daigne ajouter dans sa miséricorde :
« Un Dieu te fait plaisir ? Hé bien ! je te l’accorde,
« Comme avec une image on console un enfant. »

« À ces mots, ton génie, ô profonde Allemagne,
S’ébranle avec lenteur, puis il entre en campagne
Comme un lourd bâtiment dont l’hélice de fer
Toujours droit devant soi marche en forant la mer,
Et, prévenant les vents qui se faisaient attendre,
Précipite à son but la force de son pas,
Ouvrière impassible, incapable d’entendre
Et les foudres d’en haut et les rumeurs d’en bas.

« Fichte se lève et dit : « Le Dieu qu’il nous propose
« N’est qu’une aumône au cœur 1 J’y consens, l’âme est close.
« Elle est de l’univers la borne et le milieu :
« S’il n’est rien hors de moi, c’est moi qui ferai Dieu. »
Seul, où la conscience allume sa veilleuse,
Il plonge et dans lui-même il voit surgir divin,
À cette humble clarté qui grandit radieuse.
Le vrai monde qu’aux sens il réclamait en vain.
Schelling approfondit ce rêve et le féconde :
Le cerveau, fleur suprême, en sa trame qui sent
Marie au poids le jour et la pensée au monde ;
Le monde est l’esprit même aux yeux apparaissant.
L’âme de la Nature a la forme pour signe ;
C’est pourquoi l’Art unit aux songes les rayons,
Et, prêtant au modèle une splendeur insigne.
Sent Dieu collaborer à ses créations !