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«  Oh ! que sous un portique inondé de lumière
Aux côtés de Socrate il était bon d’errer !
Il enseignait le beau, sa nature, ses charmes,
Solliciteurs puissants d’inexplicables larmes,
La vertu, la justice, et le bonheur certain.
Car il dépend de l’âme et non pas du Destin.
Ce sage apprend à l’homme à plonger en soi-même ;
Le sophiste le craint, et le disciple l’aime.
Quand son art indulgent par mille adroits circuits
Les avait tour à tour à leur insu conduits
Au piège où sa raison souriante et profonde
Surprenait des rhéteurs la perfide faconde.
Il les interrogeait, et ce qu’il tirait d’eux
Contre l’erreur l’armait de leurs propres aveux.
Le maître en se jouant les éprouvait encore ;
Puis, quand de leur détresse il les vo5’ait rougir,
Il faisait poindre en eux et lentement surgir
Des hautes vérités la merveilleuse aurore.

« Platon va dans la nuit au-devant du matin
Où dans la brume, au ciel, la Vérité se lève.
Et son langage aisé d’un laborieux rêve
En un flot d’ambroisie épanche le butin.
Quand nous déracinons l’odorante verveine,
Que trouvons-nous ? De l’ombre, un terrain brut et noir ;
Telle d’un chaos sombre éclôt, charmante à voir,
Douce à sentir, la fleur de la pensée humaine.
Le réel, humble ébauche, aspire, inachevé :
L’esprit avec Platon vole au temple rêvé,