Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1879-1888.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


______Nul être ici ne sacrifie
______Les corps pour respirer construits ;
La dent n’attaque ici nulle sensible vie
______Et ne mord que la chair des fruits ;

______Et, récoltés sans rudes peines
______Sur un sol aux rêveurs clément,
Ces fruits d’un pur fluide enrichissent les veines,
______Délectable et noble aliment.

______Tes forces s’y pourront refaire
______Sans meurtre, à l’abri du remords ;
Sur le sein généreux de cette noble sphère
______Tu ne vivras plus par les morts.

Non, c’est une planète où la vie est éclose
Sous des lois qu’un sort juste à ses hôtes impose ;
Nul être n’y subsiste au détriment d’autrui,
Et n’y doit forcément pour jouir avoir nui.
Tous les maux sont finis qui t’affligeaient naguère :
Les espèces ici ne se font plus la guerre ;
Aussitôt satisfait sans qu’il en coûte un pleur.
Le besoin maintenant n’est plus une douleur ;
Aiguillon toujours vif que ne craint plus personne,
L’appétit rend meilleur les mets qu’il assaisonne ;
Et la faim, qui sur terre à son gré fait mouvoir
Les vivants qu’elle obsède, ici perd son pouvoir.
Regarde autour de toi ces merveilleuses plantes :
Les sucs en sont puissants et les senteurs troublantes ;