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décoré un simple fait de la vie ordinaire par la forme la plus mnémonique ou la plus élégante. Une seule condition, en effet, s’impose essentiellement au vers, c’est de ne jamais être plat. Le vers est tenu de différer de la prose par une cadence qui n’est pas toute dans l’hémistiche et le nombre des pieds ; un vers plat n’est pas vraiment un vers, parce que l’harmonie la plus expressive, cette harmonie ailée qui ne se définit ni ne s’enseigne, en est absente. Le devoir du poète est de communiquer à son vers une beauté de forme appropriée à sa conception, mais, s’il y parvient, ce n’est plus au nom de l’art qu’on peut lui contester cette conception ; il suffit qu’elle ne déshonore pas la Muse. S’il n’intéresse que lui-même, à coup sûr il se trompe ; mais s’il n’intéresse pas tout le monde, le tort n’est pas nécessairement de son côté.

Hâtons-nous d’ajouter que les vers philosophiques sont fort loin de prédominer dans ce poème ; l’auteur y a rencontré, non cherché, l’occasion de les y introduire. Encore une fois, il ne s’est proposé que de caresser les plus nobles aspirations par une rêverie bienfaisante qui pût faire un moment oublier le mutisme et l’immoralité de la Nature.