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pensation future des douleurs présentes, sur un règlement final de comptes à rendre, sur la sollicitude enfin, et l'existence même d’un Créateur, ce doute, pour ceux qui ont le privilège peu enviable de le concevoir et de s’y arrêter, devient à la longue très importun. Plus d’une âme qui en souffre accueillerait peut-être pour une heure, comme une diversion bienfaisante, quelque idéale satisfaction offerte à son besoin de justice et de félicité. Ce poème ne promet pas davantage au lecteur. On serait déçu si l’on y cherchait une solution rigoureuse des grands problèmes qui s’y posent : l’auteur y caresse seulement un rêve, un souhait que son imagination ne pouvait exaucer avec le plein consentement de sa raison. Il lui fallait fermer les yeux sur beaucoup d’invraisemblances inhérentes au sujet, et sur de cruelles incertitudes. Il lui fallait, en dépit de la scandaleuse et horrible mêlée des forces, admettre une divinité paternelle, et concilier le bonheur avec la peine pour n’en point bannir la dignité. Certes, si ce rêve confinait à la réalité, les cœurs droits et hauts n’auraient pas à s’en plaindre, mais c’est au hasard surtout qu’ils en pourraient faire honneur. La vérité est la récompense d’une étude opiniâtre et exclusive ; la poésie, naturellement contemplative ou passionnée, ne saurait sans outrecuidance viser à supplanter la philosophie et la science. Quand parfois elle se permet d’y puiser son in-