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SONNET


a carolus duran


Combien de fronts jadis le soleil éclairait
Dont pas un jusqu’à nous n’a traversé les âges !
La Nature produit d’innombrables visages
Dont il ne reste plus dans la tombe un seul trait.

C’est pourquoi sans l’artiste à jamais périrait
La forme des héros, des rêveurs et des sages ;
Tous les corps ici-bas font de si courts passages.
Heureux celui que sauve un immortel portrait !

Le portrait fait durer l’âme dans la matière :
Mon âme par la toile est reflétée entière,
Ô Carolus, j’y sens respirer mes douleurs.

Ton pinceau dans mes yeux a surpris ma pensée ;
Elle vivra par toi mêlée à tes couleurs
Longtemps après les vers qui l’auront cadencée.