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mules étroites et exclusives, ce sont les systèmes. Le mysticisme voudrait prouver positivement qu’il y a un monde moral distinct et supérieur, et la science exacte avoue le caractère mystérieux de la vie et de la pensée. Mais, quand il s’agit de constituer ces tendances intellectuelles en doctrines, chacun nie instinctivement ce qui l’embarrasse. Nous ne proposons pas de compromis entre ces deux systèmes, ce serait, pour le moment du moins, exiger de part et d’autre un sacrifice de convictions sincères, mais nous conjurons les deux camps de ne point creuser arbitrairement entre eux une tranchée infranchissable, comme si le rapprochement devait être à jamais impossible. Rien de plus arbitraire en effet que l’hypothèse de la matière, telle qu’elle se définit dans les théories scientifiques ; et rien de moins légitime que la prétention du spiritualisme à scinder l’homme en deux substances dont la relation devient inintelligible. Nous croyons que pour sortir de l’impasse où aboutissent ces contradictions gratuites, il faudrait poser les armes, faire trêve et se rejoindre tous au même degré de réflexion sur les notions acquises. D’une part, on relèverait la matière du mépris puéril des spiritualistes, en établissant qu’elle est une essence active, qu’elle a un fond commun avec l’essence morale comme le prouve la transmission du mouvement par la pensée à la volonté et par celle-ci à la puissance nerveuse. D’autre part, tout en accordant aux matérialistes l’impossibilité actuelle d’une distinction de substances et la mutuelle connexité des phénomènes physiques et moraux, on n’affirmerait pas jusqu’à preuve contraire que les premiers produisent les seconds.

Le mieux serait sans doute de bannir des discussions philosophiques les mots matière et esprit en tant qu’ils désignent