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NI MATÉRIALISME, NI SPIRITUALISME




Nous sommes, quant à nous, porté à penser que ces deux ordres de phénomènes sont irréductibles l’un à l’autre, en tant qu’ils relèvent de deux modes distincts de l’être universel ; mais nous croyons qu’ils trouvent l’un et l’autre dans cet être unique et commun, hors duquel il n’y a pas de relation possible entre les mondes, leur fondement et leur principe respectifs. On ne peut dire que l’âme soit issue du corps, mais l’âme et le corps, ou plutôt l’ensemble des phénomènes moraux et celui des phénomènes physiologiques, peuvent être deux manifestations de la substance unique, où gît profondément la loi de leurs mutuels rapports. Si l’on cherche leur lien dans la sphère circonscrite où ils se manifestent à l’expérience externe et interne, on ne le trouvera pas. Le lieu commun de toutes les unités que nous percevons, de l’âme et du corps, et de toutes choses, c’est l’Être universel, c’est ce que nous appellerions Dieu, si ce mot n’éveillait dans les esprits autant d’idées différentes qu’il y a de degrés à l’éducation de la pensée.

Dans cette conception qui, remarquons-le bien, ne prétend pas être un système, mais une simple conjecture, une sorte de préliminaires de conciliation entre les données de l’expérience externe et celles de l’expérience interne, on donne provisoirement audience à toutes les aspirations de l’esprit humain, depuis l’idéalisme jusqu’au positivisme. Ce ne sont pas en effet les aspirations qui sont incompatibles, ce sont leurs for-