Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

organisateur distinct des molécules et agissant pour les disposer.

Nous n’avons, jusque-là, aucun argument péremptoire à opposer à cette doctrine, car la vie n’y est définie que par la nutrition et la génération, c’est-à-dire en somme, par figure et mouvement, toutes choses qui peuvent être des résultantes. Mais toute vie n’est pas comprise dans cette définition. La vie de relation qui implique la sensibilité à un degré quelconque semble incompatible avec la théorie moléculaire. Elle n’est plus réductible à une composition de mouvements inconscients, elle ne paraît pas pouvoir être une résultante de phénomènes qui ne sont pas de même nature qu’elle. Ici nous puisons une objection très scientifique dans la véritable notion de résultante, telle que nous l’avons posée plus haut. S’il n’y a ni sensibilité, ni pensée, ni volonté, dans l’atome, aucun de ces phénomènes moraux ne peut sortir d’un groupement d’atomes. Et à supposer que l’atome fût doué de ces facultés, même à l’état rudimentaire, toute difficulté ne serait pas aplanie. En effet, les phénomènes moraux impliquant tous unité et indivisibilité substantielles, comme nous le révèle la conscience qui est l’expérience interne, aucun d’eux ne peut résulter de l’action multiple et divisée de plusieurs êtres. On conçoit bien que deux êtres sentent et pensent de même simultanément, il y a deux sensations, deux pensées distinctes, mais on ne conçoit pas qu’il y ait une seule et même sensation, une seule et même pensée pour deux consciences. Dès qu’on accepte le fait de la sensation et qu’on y fonde la science entière, il faut l’accepter dans ce qu’il contient, dans tout ce que l’esprit y aperçoit. Or l’esprit aperçoit l’indivisibilité subjective de ce phénomène aussi clairement que sa portée objective. On na pas le droit de se fier