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l’impression, chacun y est également attentif, mais les différences commencent à l’acte de comprendre. En se demandant : qu’est-ce que cela ? les uns seront beaucoup plus exigeants, plus difficiles à satisfaire que les autres. Cette question n’a pas pour tous la même portée ; la portée du comment et du pourquoi sera aussi très diverse. Il est aisé de s’en rendre compte. Il y a une distinction spontanée des groupes de perceptions ou objets de la pensée, que la nature se charge en quelque sorte d’opérer sans le concours de notre volonté pour notre conservation et notre utilité ; elle l’opère dans l’esprit des bêtes comme dans le nôtre, et il y a une distinction plus analytique, plus profonde, d’objets élémentaires constituant les premiers, qui est un fruit de la science réfléchie. Ne nous flattons pas d’apprendre à l’enfant à distinguer un chien d’un cheval, un arbre d’une pierre, nous ne pouvons que lui donner l’occasion de les distinguer lui-même en lui désignant ces objets, désignation qui consiste à le mettre sur la voie de percevoir comme nous et qui serait évidemment impossible sans l’initiative spontanée de ses facultés. Le monde s’offre dans la perception de l’enfant, comme dans la nôtre, en groupes naturels de sensations liées entre elles d’une manière constante et qui correspondent à l’unité directement inaccessible de leur cause extérieure. Cette unité, nous l’appelons vie, cohésion, continuité, impénétrabilité, etc., quand nous nous préoccupons d’en définir le principe ; mais à l’esprit de l’enfant, elle s’impose comme lien des sensations groupées, sans qu’il songe à distinguer ses sensations de leur cause extérieure, l’image sensible de l’objet réel qui la fait naitre en lui. Plus tard, la réflexion conduit l’homme à examiner l’unité du groupe sensible acceptée jusque-là instinctivement,