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Certes, c’est un bon grain qu’une parole vraie ;
Mais en est-il un seul qui germe sans labour,
Et qui lève sans eau, sans chaleur et sans jour,
Sans que personne arrache autour de lui l’ivraie ?

Or, notre fonds est vieux ; il exige à présent,
Plus que jamais ! qu’un bras vigoureux le travaille.
Plus que jamais aussi la mauvaise herbe assaille
Et tâche d’étouffer le semis bienfaisant.

Jamais les défenseurs de la culture humaine
N’ont dû, pour la sauver, combattre autant que nous
Le froid, la sécheresse, et le torrent jaloux
Des appétits lancés par le jeûne et la haine.

Séculaire fouillis de lois, d’us et de mœurs,
Notre monde, à la fois si caduc et si riche,
Ressemble à la forêt qu’à la hâte défriche
Tout un peuple accouru d’ardents explorateurs.

Les anciens possesseurs défendent qu’on y touche.
Depuis des milliers d’ans ils y vivent en paix ;
Ils sont faits à la nuit de ses fourrés épais ;
Leurs aïeux en ont vu la plus antique souche ;