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Au sortir du désert, le pèlerin lassé
Se délecte à songer aux innombrables rides
Que déroulaient sous lui les longs sables arides,
Savourant sa fatigue et le péril passé.

Celui-là peut dormir ! sa tâche est achevée.
Il a heurté le seuil des minarets lointains,
Son pied même et sa foi les ont ensemble atteints :
Il peut tranquillement jouir de l’arrivée.

Moi, j’ai rempli mon vœu sans péril à courir,
Immobile, en esprit seulement, comme on plane,
Sans fouler la poussière avec la caravane
Qui marche à l’Idéal au lieu d’en discourir.

Pendant qu’elle avançait silencieuse, en butte
Aux fureurs du simoun, et sous le plomb du ciel,
Ce n’était qu’en parole, et loin du sol réel,
Loin des réels climats, que j’acceptais la lutte.

La parole, offrît-elle un rare et pur trésor,
Ne doit pas tout entier son crédit à la bouche :
Il faut que l’essayeur et la pierre de touche,
Le vouloir et la vie, en aient éprouvé l’or !