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ment spontanément en nous ; nous sommes donc bien loin d’admettre qu’aucune doctrine puisse être créée par la réflexion pure.

La base de toute science est donc, à notre avis, un ensemble de données sensibles ou perceptions immédiates qui sont l’œuvre de la spontanéité de l’esprit, et la fin de toute science est un système de rapport que la réflexion découvre dans ces données et qui les rend intelligibles.

Mais qu’est-ce donc que cette intelligibilité des perceptions immédiates ? L’esprit, avons-nous dit, est un, sa nature est la même chez tous les hommes, bien qu’à des degrés différents de conscience de lui-même. Or, à tous les degrés il a les mêmes besoins, il n’est satisfait qu’aux mêmes conditions. Ces conditions, les voici : avant tout percevoir nettement les matériaux de la pensée, c’est-à-dire bien discerner les sensations et leur division spontanée en groupes ou unités distinctes ; ensuite comprendre, c’est-à-dire répondre sur chaque unité aux questions suivantes : qu’est-elle ? quelle est sa raison d’être ? Ainsi, l’esprit veut d’abord voir distinctement sa donnée, puis savoir ce qu’elle est, ce qui la distingue et la définit ; enfin il ne se contente pas de constater son existence et les rapports intrinsèques continuant son unité, il ne la conçoit pas sans rapports extrinsèques posant son existence et ses conditions, il demande la cause, le comment et le pourquoi de l’objet ; et s’il ne les trouve pas en dehors de l’objet, il faut qu’il les trouve dans la nécessité de ses rapports intrinsèques, qu’il conçoive ceux-ci comme subsistants par eux-mêmes. Il n’est pas d’homme qui ne sente ce problème dans tout objet perçu, et qui n’en essaye la solution ; les perceptions ne sont rendues intelligibles quà ce prix.