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II



Puisque ma conscience est le seul lieu du monde
Où sur ce qu’il me veut l’infini me réponde,
Puisqu’en ce lieu d’où rien ne pouvait t’arracher,
Je te trouve, où d’abord je t’aurais dû chercher,
Et que là seulement, je découvre, ô Justice !
Une assise immuable où sans peur je bâtisse,
J’y rentre et m’y retranche, et m’y tiens à jamais.
Il y fait noir, bien noir, mais je te reconnais ;
En tâtonnant, déjà je baise et je révère
Les deux doigts étendus de ta droite sévère ;
Moins sévère pourtant qu’elle n’était jadis,
Quand déesse de marbre, on te nommait Thémis.
Ta main semble aujourd’hui moins froide que la pierre :
Ce qui l’humecte ainsi vient-il d’une paupière ?
Et quelle onde vivante y bat et l’attendrit ?
N’a-t-elle pas pressé la main de Jésus-Christ ?
Ah ! pour te voir, je veux, je saurai faire naître,
Par l’étude et l’amour, une aurore en mon être !
Si, hors du genre humain, tu n’es plus qu’un vain nom,
En lui du moins tu vis, qu’il t’obéisse ou non !