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Pardonne si, doutant de ce prodige en moi,
Je t’ai cherchée ailleurs, et t’ai faussé ma foi !
Ignorant que ta loi fût seulement humaine,
Inopportune ailleurs qu’en notre humble domaine,
J’ai traité l’univers en humaine cité,
Quand je l’ai pour ces maux par devant toi cité.
Ces maux, que je nommais injustes, sont peut-être,
Non les caprices fous ou coupables d’un maître,
Mais de fatals moyens, seules conditions
D’un ordre qui nous passe ou que nous oublions.
Sans doute à nos souhaits se refuse la terre,
Comme un cercle adjuré d’être un quadrilatère ;
Ce qu’elle nie aux vœux, sa loi le lui défend.
L’injustice du sort est un grief d’enfant
Qui, malade, abhorrant la cuillerée amère,
La déclare nuisible et s’en prend à sa mère.
La douleur et la mort, sans doute il les fallait,
Pour que l’homme devînt le demi-dieu qu’il est !
Le mal nous déconcerte, et pourtant qui peut dire
Si l’Univers, où tout se repousse et s’attire,
Pourrait survivre avec un atome de moins
Ou de plus, confié, pour nous plaire, à nos soins ?
Dans nos comptoirs, pendant que le vendeur calcule
Et compare les poids soumis à la bascule,
L’acheteur défiant ne se dit pas lésé
Tant que monte et descend l’objet pour lui pesé ;
Il laisse le marchand peser en conscience,
Et l’observe, attentif, mais sans impatience,
Trouvant dans sa lenteur, loin d’en être irrité,
Un gage de prudence et de sincérité.