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I



Où sont les abandons, les gaîtés de naguères,
Quand, fort de la coutume et de la foi vulgaires,
Je savais me laisser par le jour éblouir
Et des biens de la vie aveuglément jouir ?
Je me sens aujourd’hui la pensée en détresse,
Et je ne prends plus part à la commune ivresse.
J’y demeure étranger, comme un faux libertin
Qu’un désespoir d’amour égare en un festin :
Dans les rires, les cris, les senteurs, les fumées,
Et les pourpres éclairs des lèvres allumées,
Dans l’ondoiement des seins que l’étreinte a flétris,
Et le scintillement fiévreux des yeux meurtris,
De la fête odieuse il n’a que la livrée ;
Résistant au roulis de sa tête enivrée,
Sa volonté tient bon, debout au gouvernail ;
Seul il compte les pas de l’heure sur l’émail,
Et voit l’aube rougir la vitre qui larmoie :
Un incurable amour corrompt en lui la joie.
Ainsi, des voluptés sublime empoisonneur,
L’amour de la justice a troublé mon bonheur.