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L’égoïsme est aveugle entre espèces : chacune,
Viable sur la terre à force d’avoir nui,
De ses derniers vaincus se repaît aujourd’hui,
Sans que nulle pitié, nul remords l’importune.

L’égoïsme entre égaux veille à la paix commune :
L’être le plus féroce épargne alors autrui,
Parce qu’il reconnaît sa propre vie en lui,
Et fait sur lui l’essai de sa propre fortune.

Le fraternel instinct n’est donc pas généreux :
Les loups sans hésiter se mangeraient entre eux,
S’il n’importait à tous que leur chair fût sacrée ;

Mais l’espèce, attentive en chaque individu,
Persuade au loup même, à qui la chair agrée,
Que celle du loup seul est un mets défendu.




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