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Deux choses donc : les Corps, et par eux habité
Le Vide, ouvrant carrière à leur mobilité,
Voilà le propre fond de toute la Nature !
Les corps, nous les sentons, le sens est vrai par soi ;
Sans ce premier appui d’une commune foi,
Sur les secrets du monde il n’est pas d’avenue
Et pas de vérité certainement connue.
Quant à ce lieu, l’espace, en mes vers appelé
Le Vide, il est : sans lui les corps n’ont plus de siège,
Ils ont de circuler perdu le privilège ;
C’est ce que mes leçons déjà t’ont révélé.
     Et n’imagine point d’être qui d’aventure
Serait distinct des corps et du vide à la fois,
Qui fît une nouvelle et troisième nature.
Quel que fût cet objet, dès qu’il est, tu conçois
Qu’un surcroît, fort ou faible, à l’Univers s’ajoute.
Est-il tangible, encor que léger et subril,
Dans la somme des corps il doit compter sans doute ;
Et s’il est intangible, alors que pourrait-il
Au passage d’un autre opposer de solide ?
Il est donc pénétrable ; en un mot, c’est le Vide.
     Et toute chose est telle, au surplus, qu’elle peut
Soit agir, soit subir l’acte d’une autre chose,
Ou telle enfin qu’une autre y réside et s’y meut ;
Mais, causée ou subie, une action suppose
Quelque masse, et le lieu quelque espace vacant.
Hors le vide et les corps, l’être donc ne comporte
Nulle nature en soi d’une troisième sorte,
Plus rien qui de nos sens vienne ébranler la porte,
Ni qu’atteigne l’esprit d’un regard convaincant !