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N’étant plus d’éléments dont un ciel impropice
Pût jamais empêcher l’union créatrice.
S’ils poussaient du néant, les êtres aussitôt
Croîtraient, n’attendant point des germes l’assemblage :
L’enfance à la jeunesse atteindrait sans passage,
L’arbre soudain du sol s’élèverait d’un saut.
Mais quoi ! d’un tel désordre a-t-on jamais vu trace ?
Tout grandit lentement, ainsi que le prescrit
Un germe sûr ; chaque être est conforme à sa race ;
Chacun d’un propre fonds croît donc et se nourrit.
     Puis le sol, sans les eaux que chaque année assure,
Ne pourrait, infécond, de beaux fruits s’égayer,
Ni tous les animaux, privés de nourriture,
Entretenir leur vie et se multiplier.
Loin d’admettre qu’il soit sans corps premiers des êtres,
Crois plutôt que, pareils aux mots formés de lettres,
Ils trouvent par milliers de communs éléments.
Qui donc à la Nature eût interdit de faire
Des hommes qu’on eût vus déraciner, géants,
Les grands monts, traverser à gué les océans,
Et porter, invaincus, un âge séculaire,
S’il n’était aux objets, pour naître, un fond marqué,
Principe où de chacun l’essor fût impliqué ?
Il faut donc l’avouer : rien de rien ne commence,
Puisque tous les objets ont besoin de semence,
Qui, les créant, les porte au champ subtil des airs.
Si la campagne, enfin, préférable aux déserts,
Par nos mains cultivée en fruits meilleurs abonde,
Il faut bien qu’en la terre il soit des éléments,
Que le labour incite à leurs enfantements