Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est qu’à l’œuvre infini de la terre et des cieux
L’homme cherche une cause ; elle échappe à ses yeux,
Et la force divine est celle qu’il invente.
Mais quand nous aurons vu que rien n’éclôt de rien,
Nous marcherons guidés au but qui nous appelle,
Nous saurons de quel fond, par quel secret moyen,
Tout prend l’être et se meut sans que nul Dieu s’en mêle.
     Que le néant engendre, et les êtres divers
Naissent tous l’un de l’autre, et tout leur est semence.
Dès lors la race humaine au sein des mers commence,
Le poisson naît du sol, l’oiseau surgit des airs,
Bêtes fauves, troupeaux, bétails de toute espèce,
Aux déserts comme aux champs vivent sans loi produits,
Et les arbres n’ont plus toujours les mêmes fruits :
Tous bons à tout produire, ils en changent sans cesse.
Car si chaque être n’a ses corps générateurs,
Où chacun trouve-t-il une constante mère ?
Mais tu leur vois à tous leurs germes créateurs :
Aussi chacun n’éclôt, n’émerge à la lumière
Qu’où reposent ses corps premiers et sa matière.
Tout être ainsi ne peut par tous être enfanté,
Car des pouvoirs distincts à chaque être appartiennent.
Pourquoi la rose en mai, les moissons en été ?
Et le cep par l’automne à s’épandre invité ?
Si ce n’est qu’en leur temps les semences conviennent,
Et qu’ainsi tout produit apparaît tour à tour,
Quand la terre vivace élève au seuil du jour
L’être en fleur, sur la foi des saisons qui reviennent.
Si tout de rien naissait, tout surgirait soudain,
Sans nulle saison propre, en un temps incertain,