Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qui, des hauteurs du ciel penchant sa tête affreuse,
Le tenait dans l’horreur de son obsession.
Un Grec fut le premier qui, redressant la face,
Affronta le fantôme avec des yeux mortels.
Foudre, ni ciel tonnant, ni prestige d’autels
Ne l’ébranle, et d’un cœur qu’enhardit la menace
Il brûle de forcer pour la première fois
Le temple où la Nature enserre et clôt ses lois.
Son héroïque ardeur triomphe, et, vagabonde,
L’entraîne par delà les murs flambants du monde ;
Son âme et sa pensée explorent l’infini ;
Il en revient vainqueur : il sait ce qui peut naître,
Ce qui ne le peut pas, du pouvoir de chaque être
Les bornes, et son terme à son fond même uni.
Sur la Religion un pied vengeur se pose,
L’écrase ; et sa victoire est notre apothéose !
     Tu crains, dans mes leçons, de te voir entraîné
Par la raison sans culte au noir chemin des crimes.
Ah ! la Religion fait plutôt des victimes ;
Et d’un culte odieux le sacrilège est né !
     Des Grecs, au port d’Aulis, l’élite réunie,
Les rois, pour conjurer la Vierge-aux-Carrefours,
Souillent l’infâme autel du sang d’Iphigénie.
Sur ses tempes déjà flottent les blancs atours
Suspendus au bandeau qu’à son front on attache.
Elle voit là son père immobile d’horreur,
Le couteau que le prêtre à ce malheureux cache,
Les larmes que sa vue à tout le peuple arrache,
Et sent fuir ses genoux, muette de terreur.
La misérable ! En vain c’est elle la première