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la révolte des fleurs.

Le peuple tout entier des tisseuses de soie,
Des parfileuses d’or que le printemps emploie,
Sentit ses vieux griefs soudain renouvelés.
Déjà les fleurs au cœur fragile, mais superbe,
Souffraient de voir que l’homme eût au moindre brin d’herbe
Ravi la liberté de croître à sa façon,
Qu’il eût borné partout leur antique horizon ;
Elles pleuraient encor les oasis natales,
Le temps prodigieux des splendeurs végétales,
Avant qu’il eût partout mis leurs droits en péril,
Quand, au sauvage essor d’un gigantesque Avril,
Des continents entiers leur servaient de corbeilles :
« Maudits les arts nouveaux et leurs tristes merveilles
Par qui tous les bonheurs sont ici-bas troublés ! »
Répéta hautement cette fleur que les blés
Dans les frissons errants de leur cime qui bouge
Roulent comme un lambeau de quelque écharpe rouge,
L’ardent coquelicot, prince des fleurs des champs,
En qui l’air pur et libre a mis de fiers penchants !

« Nos parures sont assorties
À des goûts que l’homme n’a plus,
Ô mes sœurs, jetons aux orties
Tous ces falbalas superflus.