Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1865-1866.djvu/283

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Si nous mêlons encore au plaisir la pensée,
C’est que nous évoquons nos vœux d’adolescents :
Offrir à l’âme l’âme aux lèvres condensée,
Voilà l’amour entier, rêve des cœurs puissants !

On dit que Raphaël, aimant la Fornnarine
Assez pour désirer des nuits sans lendemains,
Laissa le souffle pur de sa jeune poitrine
Fuir sous l’oppression de plaisirs surhumains.

Il en mourut ! Eh bien ! ô vous que l’ennui ronge,
Vous dont l’or vigilant travaille la santé,
De quoi le plaignez-vous ? il meurt aux bras d’un songe,
Vous mourez sur l’écueil d’une réalité.

Oui, Raphaël usa sa fébrile énergie,
Mais jamais sur ce front par un ange habité
Les reflets infernaux de la stérile orgie
N’ont jeté leur rougeur ni leur lividité.

Quand sa bouche, en suivant la correcte figure,
En avait savouré les contours gracieux,
Quand il avait flatté la brune chevelure
Et balancé son cœur dans l’infini des yeux,