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HONNEUR ET PATRIE


À l’appel du zénith son flambeau dans l’osier
A fait plus de chemin vers le but de la vie
En ouvrant à l’espoir la carrière infinie
Que n’en fait la vapeur en rampant sur l’acier.

Non, certes, que Vulcain ne soit Dieu, qu’il ne faille
Admirer dans l’outil le songe qui travaille,
Bénir le front mouillé comme le front pensif ;
Mais, quand avec les flots a cessé la bataille,
Malheur à l’équipage ivre et gaîment oisif
Dont la bombance endort la vertu vigilante,
Car sur le lit moelleux de la houle indolente
Le navire peut-être effleure le récif…

Veillons ! car, de son maître à son tour la maîtresse,
La matière se venge, obscurément traîtresse,
Du joug qu’elle subit sur l’imprudent dompteur :
Elle l’enchaîne aux sens qu’elle excite et caresse ;
Mais vous l’empêcherez d’avilir le bonheur !
Vous ne la soumettrez qu’au généreux caprice,
De l’esprit à la fois serve et libératrice,
Marchepied de l’autel où se dresse l’Honneur.