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ÉPAVES



D’autres ont affronté la tâche aventureuse
D’explorer le tombeau que sans relâche creuse
Aux siècles entassés leur fossoyeur, l’oubli ;
D’épeler leur histoire écrite sur les pierres,
D’ouvrir patiemment les lèvres, les paupières,
Et l’antique linceul du monde enseveli.

D’autres, les plus aimés (car c’est une caresse
Que donne aux sens, au cœur, leur œuvre enchanteresse),
Montrent que l’Art français, de la Nature épris,
En reçoit des leçons constamment rajeunies
Sans déserter le choix des rares harmonies
Qui font du Beau pour l’âme une forme sans prix.

Fiers d’un premier servage aux plus nobles modèles,
Ils en sont demeurés les affranchis fidèles.
L’Art novice est hardi, mais ce jeune étalon,
C’est moins en liberté qu’il achève sa grâce
Que sous un fort dompteur qui d’abord le ramasse
Pour le mieux enlever au signal du talon.