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— Comment : il paraît que tu rencontras ? — dis-je à Basquine, surpris de cette expression dubitative.

— Je dis : il paraît, mon bon Martin, parce que c’est seulement plusieurs jours après cette rencontre, que je sortis peu-à-peu de l’hébétement où m’avait plongée la vue du meurtre de Bamboche ; j’appris alors par le bouvier les détails de ma rencontre avec lui : le tintement des clochettes que portaient quelques-unes de ses vaches, ayant probablement attiré mon attention, je me dirigeai du côté de ce troupeau, et je l’accompagnai pendant assez long-temps, rendant même quelques services au bouvier avec un instinct purement machinal, en aidant ses chiens à conduire son bétail. Cet homme eut pitié de moi ; il me prit pour une idiote dont on avait voulu se débarrasser en l’abandonnant et en la perdant ; à la couchée, il me fit donner à souper et une bonne litière dans l’étable ; au point du jour, je fus sur pied, malgré la neige qui tombait avec abondance, je suivis courageusement le bouvier. Plusieurs jours se passèrent ainsi, pendant lesquels, à la croissante surprise de mon protecteur, mon hébétement se dissipa peu-à-peu ; ma raison commençait à se remettre de son violent ébranlement ; enfin la veille, je crois, de notre arrivée à Limoges, après une nuit passée dans un profond et lourd sommeil, je m’éveillai complètement revenue de cette longue aberration. Ma première pensée fut de m’écrier, presque machinalement, en regardant autour de moi : — Bamboche ! Martin !… puis seulement alors j’eus vaguement conscience de ce qui m’était arrivé, tout étonnée de me trouver seule couchée dans une étable… Entre ce réveil de ma raison et l’instant du meurtre de