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tes ne démentaient en rien ses paroles ; mais, chez Basquine, d’où venait cette harmonie si complète, entre la distinction de ses manières, et celle de son langage ? Comment avait-elle pu désapprendre, à ce point, les enseignements vulgaires, ignobles, obscènes, de la mère Major, de la Levrasse et du paillasse, horribles enseignements dont la corruption avait infecté son enfance ?

Ce mystère dont j’étais vivement préoccupé, devait bientôt s’expliquer.

— Tu vas entendre Basquine, — me dit Bamboche, — tu verras ce que la pauvre petite a souffert… auprès d’elle… je menais en prison une vie de sybarite.

— J’ai toujours subi le malheur avec résignation… — dit Basquine, — mais l’humiliation, le mépris… l’insulte, oh ! c’est de cela… que j’ai le plus souffert.

Après un moment de silence, Basquine reprit :

— Écoute, Martin, et tu verras que nos destinées, sans doute diverses, sont du moins pareilles en misères… Bamboche te l’a dit, en le voyant tomber sous le coup de pistolet du cul-de-jatte, l’épouvante me rendit à-peu-près folle ; je pris la fuite en criant au secours !… à l’assassin !.. Le cul-de-jatte me poursuivit sans doute pour me tuer aussi… mais la frayeur me donna une telle célérité, qu’échappant au bandit, je me jetai dans un taillis, où il perdit mes traces. Ces souvenirs sont pour moi très-vagues, car l’épouvante troublait complètement ma raison ; je passai la nuit blottie dans ce taillis. Au point du jour, je sortis et marchai à l’aventure, il paraît que je rencontrai dans la campagne un bouvier qui conduisait son troupeau à la foire d’hiver de Limoges.