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scène fut saluée par un immense cri de victoire formulé par des ah, ah, ah triomphants, partis de tous les coins insurgés de la salle, et cet incident n’eut pas de suite.

Cette loge, voisine de celle où se trouvaient Robert de Mareuil et Balthazar, était occupée par quatre personnes. Je connaissais déjà deux d’entre elles, le comte Duriveau et son fils, le vicomte Scipion. J’avais vu le premier la veille chez le père de Régina, et, le matin même, au Louvre ; quant à Scipion, quoiqu’il eût plusieurs années de plus que lors de la scène de la forêt de Chantilly, et qu’il eût beaucoup grandi, ses traits avaient peu changé : c’était le même charmant visage, aux cheveux blonds et bouclés, remarquable par une expression de hardiesse et d’impertinence précoce. Quoique le vicomte Scipion fût à peine adolescent, il ressemblait bien plus à un petit jeune homme, comme on dit, qu’à un enfant.

Lorsque le vicomte se retourna vers la salle, il avait le teint animé, l’œil brillant, irrité ; je fus frappé du geste insolent et hardi dont il sembla défier les spectateurs en leur montrant la badine de jonc qu’il tenait de sa petite main, gantée de gants glacés.

De la part d’un homme, cette forfanterie eût sans doute soulevé un nouvel orage ; mais la bravade de Scipion fut, au contraire, accueillie par de grands éclats de rire et des bravos ironiques. Je ne sais où la colère eût entraîné cet enfant, dont les lèvres se serraient de rage, si son père ne l’eût amicalement emmené au fond de la loge. Un adolescent, à-peu-près de l’âge de Scipion, et un homme à figure intelligente, mais basse et sournoise, accompagnaient le vicomte et son père ; d’après ce que j’avais entendu dire le matin par les gens du comte,