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si je ressentis une sorte de pitié pour cet homme, elle fut dépouillée de tout intérêt, de tout sentiment sympathique… Cette inertie, cette lâche résignation qui préférait la mort au travail, sans l’avoir seulement tenté, cet aveu d’une cynique franchise que la vie lui serait même impossible avec douze ou quinze mille francs de revenu… cette prétention aussi insolente que malheureusement réelle de ne pouvoir accepter qu’une existence de millionnaire ; tout ceci, je le répète, m’avait d’abord soulevé de dégoût, de mépris et d’indignation contre ce malheureux.

Mais me rappelant bientôt les enseignements de Claude Gérard, enseignements remplis de mansuétude et de sagesse, je songeai à l’éducation qu’avait reçue Robert de Mareuil, éducation dont la scène enfantine, autrefois passée dans la forêt de Chantilly, m’avait donné un spécimen. Je songeai à ce qu’il y a d’inévitablement funeste dans cette pensée commune à presque tous ceux qui doivent, non à leur labeur ou à leur intelligence, mais au hasard de la naissance, les dons de la fortune.

— Je ne suis pas fait pour travailler ; mon père est riche…je serai riche… et je tiendrai mon rang.

Je songeai enfin à cette incurable lèpre d’oisiveté, à cette habitude de luxe, à ces nécessités du superflu qui changent pour ainsi dire notre nature, en nous créant, à ce qu’il paraît, presque de nouveaux sens, de nouveaux organes, aussi impérieux que les autres…

Alors j’en vins à plaindre sincèrement Robert de Mareuil, non pas d’être ce qu’il était, mais d’avoir été fatalement amené, par une des plus funestes consé-