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En parlant ainsi, l’accent de Robert de Mareuil devint si naturel, si convaincu, que je fus tenté de croire à la sincérité de ses paroles. Balthazar, lui, n’en douta pas un moment, car il s’écria, d’un ton moitié joyeux, moitié fâché :

— Que le diable t’emporte ! Robert, ou plutôt que le diable m’emporte, car, après tout, c’est moi qui ai été assez sot pour te croire capable d’une atrocité… Tu te moquais de moi… tu as eu raison… Ah ça ! il se fait tard, notre exposition est clairement posée, nous tenons nos personnages… À demain l’action.

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Chose étrange : autant Balthazar, une fois emporté par ses incroyables imaginations, se laissait follement aller aux rêves qu’il faisait tout éveillé, autant, quand il entrait dans les voies de la vie pratique, il se montrait bon, généreux, sensé ; il n’offrait plus alors à son ami de partager avec lui ce Potose, ces bains d’or, ces galions et autres fantastiques rémunérations qu’il attendait de ses œuvres, et qu’il reçut plus tard ; il offrait à son ami tout ce dont il pouvait raisonnablement disposer : son modeste logis, son pain et les fécondes ressources de son imagination. J’avais aussi vu avec une satisfaction profonde, que malgré sa vive amitié pour Robert de Mareuil, le poète mettait de sévères limites à son dévoûment ; je le croyais d’autant plus incapable de se rendre complice d’une action indigne contre Régina, qu’il ne prêtait pas sans quelques scrupules son concours aux projets de mariage de Robert de Mareuil. L’accent résolu, froid, de celui-ci, en parlant de ses projets de suicide, m’avait convaincu de la sincérité de sa détermination ; je l’avoue,