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médisant de notre réunion, — son maître est-il donc aussi tyran que le comte Duriveau ?

Ma question fut accueillie par un éclat de rire général. Me voyant un peu déconcerté, l’homme de confiance du député vint officieusement à mon secours, et dit d’un air capable :

— Notre honorable collègue, ignorant sans doute quelle est la personne que sert le beau Fœdor, sa question est toute naturelle.

— C’est vrai, c’est vrai, — dirent plusieurs voix.

— Mon cher, — me dit Leporello, d’un air dégagé, — le beau Fœdor n’a pas de maître, mais il a une maîtresse… qui est la sienne. Comprenez-vous ?

— Ah !… Leporello ! Leporello ! — s’écrièrent plusieurs voix d’un ton de reproche, — êtes-vous mauvaise langue !

— Dire cela… tout de suite à M. Martin…

— Voyez, vous le confusionnez.

En effet, par un rapprochement stupide, j’avais involontairement songé à Régina… le rouge m’était monté au front, et, malgré mes efforts pour répondre d’une voix assurée à Leporello, je balbutiai :

— En effet… je… ne… je ne comprends pas bien.

— Voilà la chose, mon cher, — reprit Leporello avec un aplomb insolent, — le beau Fœdor est au service de madame la marquise Corbinelli ; il a cinq pieds sept pouces… vingt-cinq ans ; il est frais comme une rose et a de superbes favoris aussi noirs que les cheveux d’Astarté. Maintenant, surmontez-moi ce physique de sa vieille marquise italienne de cinquante ans, qui porte des diamants dans le jour, du rouge comme en carnaval, une perruque brune à raies de chair, et vous comprendrez, mon cher, pourquoi je dis que la maîtresse du beau Fœdor… est la sienne. Ah çà ! vrai ? est-ce que cela vous étonne ?

— Ma foi, oui, ça m’étonne, — repris-je en surmontant mon trouble, et il me semble que cela doit paraître fort étonnant à tout le monde ! N’est-ce pas, Mesdames ? — ajoutai-je, espérant généraliser la conversation et échapper à l’attention dont j’étais l’objet.

— Étonnant ? mais non… pas si étonnant, — dit Astarté, — ça n’est peut-être pas si commun que de voir des maîtres avoir pour maîtresses nous autres femmes de chambre de leur légitime… mais ça se rencontre… et sans aller plus loin, quand j’étais chez la duchesse de Rullecourt, il y a eu la fameuse histoire de la baronne de Surville avec le